Au début des années 400, Cassien fonda l’abbaye de Saint-Victor. De son vivant même, les moines marseillais eurent une réputation de sainteté dans toute l’Europe chrétienne. Cassien se basera exclusivement sur l’expérience égyptienne en ce qui concerne les normes de vie religieuse, inspiré par Origène (Père de l’Église grecque). Origène fut dès l’age de 18 ans le recteur de l’école d’Alexandrie où s’étaient réfugiés de nombreux disciples de Pythagore (570-500 avant J.C). L’expérience religieuse que Cassien réalisa à Marseille, durant la première moitié du Ve siècle, fut un moment extrêmement important dans l’histoire européenne.
Dans la première moitié du XIe siècle, l’abbaye de Saint-Victor devient un ordre puissant sous l’impulsion de St Isarn qui dirige la congrégation. Son influence va de Rome jusqu’à Barcelone et tous les regards se tournent vers cet ordre victorin au rayonnement spectaculaire. Vers 1070, le vicomte de Besalù (Catalogne) se range sous la bannière de l’Abbaye de St Victor. En 1088, Alphonse VI donnera à l’Ordre Victorin l’église de St Servan à Tolède, puis le monastère St Sauveur, la villa de Hukella et la villa Moraël. L’abbaye de Saint-Victor existe toujours aujourd’hui.
Rober O’Neill et moi-même, nous pensons qu’il y a un rapport entre les cathares, le néoplatonisme et le Tarot. [1] Ce courant de pensée existait durant la renaissance, mais n’est pas nouveau, car il remonte en fait à Alexandrie au début de notre ère. Au début du XIIIe siècle, Marseille avait fait alliance avec la maison de Toulouse, que tout le monde savait contaminée par l’hérésie cathare. Toulouse, qui protégeait Montségur, était amie de l’Aragon. Marseille aussi, ce qui est confirmée par le fait que les Marseillais fomentèrent en 1263 un complot contre Charles d’Anjou, l’usurpateur, en faveur de Pierre d’Aragon, qu’ils appelaient leur libérateur, et qu’ils souhaitaient comme suzerain. On peut supposer que Marseille était aussi contaminée par cette hérésie car elle s’était placée sous le patronage de l’Esprit Saint.
La maison d’Anjou, dont sont issus les fameux Comtes de Provence, fut l’ennemi héréditaire des marseillais. Cette maison d’Anjou était alliée avec les Papes. La famille Visconti, qui régnait sur la Lombardie et Milan, fut-elle aussi, comme les Marseillais, fortement favorable aux hérésies cathares à cette époque troublée.
Certains historiens aujourd’hui voient dans le Tarot l’influence de ces courants de pensées hérétiques qui ont agité tant l’Italie du Nord que Toulouse, Marseille et une partie de l’Espagne. Ce qui est certain, c’est qu’on retrouve à cette époque un courant de pensée religieuse assez semblable entre Milan, Marseille et Toulouse, la Catalogne et Aragon. Mais le Tarot de Marseille n’est pas un héritage des Cathares comme certains de mes propos auraient pu le laisser entendre [2]. Et je clarifie ici ma position. Les Cathares ont simplement fleuri sur un territoire qui était tolérant et complaisant envers eux. Le Tarot de Marseille provient d’autres sources religieuses. [3]
Après la suppression en 1312 de l’Ordre du Temple par le Pape Clément V, plus de 3000 chevaliers du Temple, pourchassés, se réunirent en 1318 à Spoletto (en Italie du Nord). Milan est la ville où on retrouve les plus anciens Tarots connus, le Tarot de Visconti et le Tarot de Visconti-Sforza, ce qui ne veut pas dire que ce sont les plus anciens Tarots ayant existé. Marseille est la ville qui a perpétué cette tradition du Tarot jusqu’à nos jours. Et Toulouse est la ville qui fut célèbre pour ses cathares avec Montségur.
Au quatorzième siècle, à Marseille, à l’Abbaye de Saint-Victor, il était interdit aux moines de se livrer au jeu de cartes dans son enclos en raison de l’engouement frénétique des moines et des nobles pour le jeu de cartes. En 1337, également, il est fait mention de l’interdiction dans les statuts de St Victor de jouer au "paginae" (en latin : parchemin, page, papier). Ce mot pourrait s’appliquer au jeu de cartes car, en 1408, les mots "papier pour jouer" et "carte" sont utilisés dans la même phrase pour désigner le même jeu. Cela s’expliquerait par le fait que le mot "naip" qui, en espagnol était utilisé pour désigner les cartes pourrait provenir du mot flamand "knaep" qui veut dire papier. En effet, les Espagnols et les Flamands étaient à l’époque en relation commerciale. Le mot primitif pour cartes à jouer aurait donc pu être "papier pour jouer" abrégé parfois en "papier". C’est l’hypothèse du si célèbre spécialiste des cartes à jouer Henri-René D’Allemagne à laquelle je souscris également. À cette époque, Marseille était sous la domination des Comtes de Provence, alors Roys de Naples, et alliés aux papes de Rome. Une anecdote curieuse est que le pape Urbain V fut le premier pape à avoir une barbe et à porter une tiare à triple couronne au lieu d’une double, ce qui ressemble au Tarot. Urbain V fut abbé de St Victor avant de devenir pape en 1362 et de s’installer à Avignon, près de Marseille.
S’il manque aujourd’hui tant de documents et de jeux de cartes ou de Tarot datant d’avant le XVIIIe siècle, c’est qu’il fut ordonné, à diverses époques, que les moules en bois ayant servi à la fabrication des jeux de cartes soient détruits et les jeux de cartes interdits sur tout le territoire. Dans un manuscrit officiel du XVIIe siècle, il est écrit que les Maîtres Cartiers à Marseille imprimaient des cartes depuis des temps immémoriaux. Un autre document du début du XVIIIe siècle nous apprend que les Marseillais fabriquaient de tous temps les plus belles et les plus délicates cartes à jouer du monde connu et qu’ils s’étonnaient de ce que cela ait pu changer.
Les plus anciens jeux de Tarot connus datent du XVe siècle. On les retrouve dans le nord de l’Italie. Ils furent fabriqués pour la famille Visconti, et, considérés comme des oeuvres d’art, furent conservés très longtemps, tandis que les jeux populaires bon marché, étaient recyclés en cartes de visite dès qu’ils étaient usés ou qu’il manquait une ou plusieurs cartes, ce qui explique le manque de cartes retrouvées aux XVIe et XVIIe siècle. Ces jeux italiens créés en un seul exemplaire pour leurs patrons royaux auraient été copiés sur un Tarot populaire originel renfermant, lui, la totalité des symboles initiatiques. C’est ce Tarot populaire originel qui aurait refait surface plus tard sous le nom de Tarot de Marseille.
Le Tarot de Marseille fut un style répandu dans toute l’Europe. On le retrouve en Suisse, à Paris, à Lyon, en Allemagne, en Espagne, en Italie, à Avignon, et bien sûr à Marseille. Ce n’est qu’à Marseille, qu’on retrouve un tracé cohérent et harmonieux dans l’ensemble des cartes, ceux-ci étant dus à l’utilisation précise du nombre d’or tant pour la symbolique que pour la géométrie. Les deux plus anciens jeux français suivant le style du Tarot de Marseille sont le Noblet de 1660 fabriqué à Paris, extrêmement simpliste, et le François Chosson de 1672 fabriqué à Marseille, beaucoup plus complexe. Le François Chosson est l’exacte copie du Nicolas Conver de 1760 lui aussi fabriqué à Marseille, à quelques détails près. François Chausson reçut cette connaissance de maîtres beaucoup plus anciens. Nicolas Conver, en 1760 perpétua à son tour cette tradition très précise et créa sa propre fabrique qui devint la maison Camoin. Dans le milieu du XIXe siècle, la Maison Camoin devient le seul et dernier dépositaire à Marseille de cette tradition séculaire, elle l’est toujours aujourd’hui.
Le Tarot est un jeu qui existe depuis plusieurs siècles. Il était joué par la population et fut interdit à plusieurs reprises dans l’histoire en raison de l’engouement frénétique que les jeux de cartes provoquaient. D’après le Dr Robert V. O’Neill et moi-même, le Tarot originel populaire, aujourd’hui disparu, rempli de messages initiatiques, aurait servi d’inspiration aux fameux jeux de Visconti et Visconti-Sforza, les plus anciens jeux connus datant du XVe siècle. Ce Tarot originel aurait refait surface plus tard en tant que Tarot de Marseille.
Philippe Camoin
[1] Note rajoutée postèrieurement : "Ce rapport est très lointain. Nous ne voulons dire en aucun cas que le Tarot a été créé par les Cathares. Deux de mes élèves espagnols ont cru que j’avais affirmé cela et ont colporté l’idée totalement erronée et ridicule que le Tarot de Marseille provenait des Cathares. Quand ils sont venus à mes cours en 2000, ils ne connaissaient rien au tarot de Marseille et n’avaient manifestement rien compris à ce que j’enseignais à l’époque." (voir l’article sur ce thème)
[2] Voir à ce sujet l’article Le Tarot n’est pas l’Héritage des Cathares
[3] Voir à ce sujet l’article Le Tarot de Marie-Madeleine
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